Vivre avec un chien dit sensible, le quotidien d'un super chien
- Marine
- 25 mars
- 7 min de lecture

Quelques mots pour commencer...
Un chien dit "sensible" ne se réduit pas qu'à cet adjectif. Ce terme me permet simplement de mettre en lumière une sensibilité plus profonde qu'ont certains chiens face à leur environnement, sans pour autant les réduire à cette seule caractéristique.
Cette histoire est avant tout la mienne, la nôtre, celle de Koda et moi.
Je l'écris pour partager mon expérience, celle d'un quotidien façonné par les défis, les remises en question, mais surtout par une relation hors du commun.
Mettre ces mots à l’écrit a été plus difficile que je ne le pensais. Parce que reprendre une relation aussi intense, avec tout ce qu'elle comporte d'émotions et d'apprentissages, n'est pas des plus évidents.
L’arrivée de Koda
Koda est entré dans ma vie par hasard. Trouvé errant, la patte fracturée, il avait besoin d’une famille d’accueil pour sa convalescence. À l’époque, je travaillais dans un refuge. Je l’ai donc accueilli au départ pour 2 mois.
J’ai alors rencontré un chien prostré, fuyant le regard, cherchant à se faire oublier.
Il avait peur des gestes, des portes, du moindre contact sur son corps. Collier, harnais, laisse… tout était une source de panique. Quand la laisse frôlait son dos, il hurlait et se jetait au sol.
Après sa convalescence, Koda a été adopté pendant quatre jours avant de revenir à la maison, son adoption n’ayant pas abouti. Depuis, il n’est plus jamais reparti.
Les premières sorties
Après deux mois de convalescence sans balades ni mouvements brusques, les premières sorties sont arrivées.
Lors de sa première sortie, il était timide, en alerte, restant près de nous tandis que nos autres chiens exploraient. Tout semblait nouveau pour lui. Il lui fallait du temps. Progressivement, il a pris confiance. Nous avons pu changer son harnais et lui mettre une longe. Il a creusé ses premiers trous, commencé à s’éloigner à 10 mètres, découvrant enfin les balades… à son rythme.
Curieux, Koda passait son temps à renifler, à scruter chaque détail de son environnement. Il s’arrêtait souvent, figé et à l’écoute du moindre bruit dans les bois, analysant avec prudence ce qui l’entourait. Il observait aussi beaucoup les deux autres chiens, étudiant leurs réactions, comme s’il cherchait à comprendre comment se comporter.
Le calme avant la tempête
Au début, Koda était curieux et craintif, un chien à la fois fragile et fin observateur. Pendant un mois, nous avons évolué dans un environnement plutôt contrôlé, le temps que sa patte continue de cicatriser. Tout semblait progresser lentement.
Puis, il y a eu ce jour où il s’est approché d’un homme. Au moment où celui-ci l’a touché, tout a basculé. Pris d’une panique intense, Koda a pris la fuite, emportant sa longe avec lui, disparaissant dans les bois. Je me souviens encore de cette terreur comme si c’était hier...
Il y a eu cette seconde fois où ses pattes se sont emmêlées dans sa longe. Tétanisé, il s’est enfui comme si sa vie en dépendait.
Après ces deux épisodes, quelque chose a changé. Il s’est mis à réagir. D’abord aux humains. Puis aux vélos. Puis aux enfants. Puis… à tout.
La culpabilité : le poids de mes erreurs
Je me souviens de ce sentiment : la culpabilité. Elle m’a envahie, m’écrasant sous son poids. Je me sentais coupable de ne pas l’avoir protégé, de lui avoir fait vivre ces situations. J’étais en colère contre moi-même, persuadée de ne pas avoir été assez vigilante.
Après ces événements, Koda a changé. De craintif, il est devenu anxieux en extérieur, scrutant le moindre humain, chien ou voiture… non plus pour fuir, mais pour foncer dessus en aboyant. Il n’évitait plus le danger, il l’affrontait.
Ce sentiment d’échec a été brutal. Mais plutôt que de me laisser submerger, j’ai décidé d’agir. Je voulais l’accompagner, l’aider à dépasser cette réactivité, à retrouver une forme d’apaisement. C’était ma manière de me racheter, de transformer mes erreurs en apprentissages, pour lui… et pour nous.
L’épuisement : quand tout devient trop
J’ai tout donné pour aider Koda. Je me suis formée encore et encore sur la réactivité, cherchant tous les moyens possibles pour qu’il se sente mieux dans certains environnements. Après tout, c’est mon métier de travailler avec des chiens. Alors on s’entraînait dur, presque tous les jours.
Mais les progrès venaient avec leur lot d’échecs. J’ai encaissé, encore et encore. Jusqu’au jour où, en pleine balade, après un énième déclenchement que je n’avais pas su anticiper, j’ai craqué. Les larmes ont coulé, et j’ai compris que ma coupe était pleine.
Je ne pouvais plus. J’étais épuisée. Koda aussi. Cela faisait six mois que nous travaillions ensemble. Il avait appris tant de choses, et pourtant, certains points restaient terriblement compliqués. On était fatigués, l’un comme l’autre.
La vérité derrière la rééducation
À ce moment-là, je ne pensais pas vraiment avoir pleinement conscience du chien que j’avais en face de moi. J’étais tellement focalisée sur sa rééducation, sur l’idée d’avoir un chien “bien”, un chien qui ne déclenche plus, un chien “parfait”. J’ai fait tout ce que je pouvais pour gérer son environnement, pour le mettre en réussite.
Mais vivre avec un chien sensible, c’est aussi accepter que l’on ne maîtrise jamais vraiment l’environnement. Je me suis retrouvée à en vouloir à ces humains qui surgissaient de nulle part en forêt, à ces chiens “gentils mais un peu brusques” qui arrivaient sans prévenir. J’en ai voulu à ceux qui disaient : “Il ne gère pas sa frustration.” J’en ai voulu à tout le monde, à moi-même de ne pas y arriver, à Koda d’être aussi complexe...
Admettre cette réalité a été un long chemin... et une grande remise en question.
Faire une pause pour mieux avancer
À ce moment-là, épuisée et sur les nerfs, j’ai demandé à mon conjoint de prendre le relais. J’avais besoin de prendre du recul, de comprendre pourquoi tout échouait. J’ai commencé à analyser chaque situation, chaque échec, chaque déclenchement, et là, j’ai compris.
J’ai compris qui était réellement mon chien, ses capacités et ses limites. Dans ma volonté de "rééduquer" Koda, j’avais oublié l’essentiel : travailler avec lui, en tenant compte de son individualité.
Enfermée dans mon système et mes attentes, j’avais négligé le plus important : Koda, mon chien, qui était unique, avec ses propres capacités...
J’ai pris une grosse claque. Et j’ai décidé de tout reprendre, depuis le début. De revenir à l’essentiel. Je basais ma relation avec lui sur une rééducation coûteuse, à chercher à transformer mon chien en un individu qu’il n’était pas...
Un nouveau départ : Koda et moi, sans pression
J’ai pris le temps de retrouver mon chien, mon Koda. Lui qui est sensible n’est pas seulement cela. Il est curieux, adore apprendre, jouer et passer des moments dehors de qualité, sans pression, sans travail.
Nous avons recommencé à reconstruire notre relation sur la confiance, en travaillant sur l’essentiel : une proximité que j'avais perdue. À force de me concentrer sur la rééducation, j’avais oublié ce que c’était qu’une vraie balade, juste nous deux, sans aucune attente.
J’ai redécouvert mon chien. Il passait plus de temps près de moi, me demandait de jouer, d’aller dans l’eau… des moments simples qui avaient disparu. Ces petites choses, ces situations banales mais essentielles, sont revenues petit à petit. C’était un nouveau départ, plus léger et plus authentique.
Et si le vrai changement, c'était moi ?
Vous me direz, et après ?
Après toute cette remise en question, j'ai fait le point. Koda est un chien sensible, réactif. Il a du mal à se rassurer dans un environnement bruyant, et dans ces moments-là, son anxiété atteint des niveaux trop élevés.
Koda apprend vite, mais chaque mauvaise situation est vécue comme un véritable obstacle pour lui. Il a peu de résilience, et lorsqu’il traverse une mauvaise expérience, il faut repartir de loin. Koda est un chien qui a besoin de temps. Il n’a pas confiance en lui. Il est régi par la peur et a besoin de temps pour s’adapter. Le monde qui bouge l’angoisse, et il prend tout sur lui.
Et moi, mon constat, c'est que je ne veux pas qu'il prenne sur lui. Je veux juste qu'il soit bien. Alors, j’ai changé de stratégie pour nous permettre de vivre mieux, heureux, tout en respectant ses limites.
Notre nouvelle vie ensemble
Notre nouvelle vie, je l’ai basée sur la confiance. On a travaillé son rappel, pour qu’il puisse être en liberté tout le temps, et créé des environnements où il se sent bien, où il ne déclenche pas, où il joue, se repose, et même dort. J’ai décidé de repartir à l’essentiel : lui offrir une vie heureuse.
Koda a des copains, sélectionnés avec soin, et les rencontres sont toujours cadrées pour éviter trop de stress. Je suis devenue sa safe place, son humain de confiance. Il sait que quoi qu’il arrive, je serai là pour lui, et je ferai tout pour le protéger.
Aujourd’hui, il n’a plus peur des humains au loin, il ne cherche plus à les éloigner de lui. Il sait que je gère la situation s’il a besoin. Tout comme les chiens, même si parfois je suis moi-même coincé pour l’aider.
Le constat depuis tout ça ?
J’ai un chien bien dans ses pattes, qui prend des décisions, qui gère des situations dans des environnements adaptés, qui sait se faire confiance et qui me fait confiance.
La réactivité n'est pas synonyme de mauvaise éducation
On pense souvent qu'un chien bien éduqué est un chien qui obéit sans broncher. Mais moi, j'ai horreur de cette idée. Un chien qui obéit juste pour obéir, ça ne m'intéresse pas. Ce qui compte pour moi, c'est la coopération.
Un chien qui ne réagit plus à ses déclencheurs, ce n'est pas un chien qui "écoute mieux", c'est un chien qui a moins peur, qui a appris à s'apaiser dans des situations autrefois difficiles. La réactivité n'est pas un problème d'éducation, c'est une réponse émotionnelle à une situation difficile.
Quand on a un chien sensible et réactif, on ressent souvent le poids du regard des autres. Ceux qui n'ont jamais vécu avec un chien comme le nôtre peuvent être prompts à juger, à donner des conseils non sollicités, ou pire, à nous faire sentir incompétents.
Ce qui compte, c'est de comprendre que ces chiens et leurs humains font de leur mieux pour avancer ensemble.
Vivre avec un chien sensible, le quotidien d'un super chien
Le constat de vivre avec un chien sensible, c'est avant tout d'apprendre. Apprendre à s'adapter, à comprendre les limites de notre chien, à ajuster notre environnement pour qu'il se sente bien. Parce qu'un chien sensible n’est pas simplement un chien difficile, c’est un super chien. Il fait de son mieux, avec ses émotions, ses peurs et sa manière de voir le monde.
Il m’a fallu plusieurs mois pour cesser de vouloir absolument travailler coûte que coûte, mon chien. J’ai finalement fait le choix de m'adapter à lui, à son rythme. Il m'a tellement appris au fil du temps, et surtout, il a montré une résilience incroyable. Malgré mes erreurs, il a su me pardonner.
La sensibilité et la réactivité d'un chien ne sont pas une fin en soi. Nos chiens sensibles ne se résument pas à ces traits seulement. Ils sont bien plus que cela. Ils sont géniaux, uniques et, chaque jour, ils font de leur mieux pour s’adapter à notre monde, même quand tout semble être contre eux.
Comments